La directrice lui prit délicatement la feuille des mains et, sans même regarder la signature, rangea le précieux document dans son dossier. Nikita était un peu soulagé, il fallait bien le dire. Qu'aurait-elle pensé de lui en voyant ce gribouillis enfantin ? À bien y réfléchir, cela dit, sans doute rien du tout. C'était une femme intelligente, le Russe le voyait. Elle n'était vraisemblablement pas du genre à s'arrêter sur ce genre de détail.

Kathleen lui fit donc un mot d'accueil d'un ton des plus réjoui. Ce n'était pas comme ça qu'on l'avait accueilli dans la marine russe, loin de là. Et on ne s'appelait pas par son prénom, ça c'était certain.

À son plus grand étonnement, Nikita commençait déjà à se plaire, ici. C'était rapide. Trop rapide, même. Devait-il se méfier ? Mais il sourit à la directrice. Discrètement, certes, mais sincèrement. C'était arrivé bien trop rarement dans sa courte vie. Si rarement, même, qu'il n'était pas sûr de s'y prendre correctement. Il avait l'impression d'être totalement ridicule et d'avoir adopté une expression niaise au possible. Aussi, il retroussa rapidement ses lèvres et repris sa neutralité habituelle.

Kathleen - c'est ainsi qu'il devait l'appeler maintenant -, lui expliqua ensuite qu'il allait devoir partager sa chambre avec un autre homme. La sonorité de son nom ne lui évoquait rien. Est-ce que ça lui posait problème ? Il aurait préféré être seul, ça c'était clair. Est-ce qu'il allait s'en plaindre ? Bien sûr que non... Ce n'était pas son style. Tant que l'autre lui laissait son espace personnel.

"Non, Kathleen (Ça lui donnait vraiment une drôle de sensation, mais il finirait bien par s'y habituer), je n'ai pas de questions pour le moment."

Au moins, il n'avait pas à se préoccuper de la question du vouvoiement, absent en anglais. C'était toujours ça de pris. Comme l'entretien avait l'air fini, il se leva. Mais il ne savait trop que faire en signe d'au revoir. C'était quoi la coutume ici ? En Russie, il devait faire son salut militaire. Ici, ce n'était sans doute pas d'application.

"Bon, eh bien... Je vais aller m'installer alors." bredouilla-t-il, maladroitement. "À plus tard…"

Il s'en alla précipitamment. En dehors des codes qu'on lui avait appris et qu'il savait reproduire à la perfection, il se rendait compte qu'une situation aussi simple que celle-là suffisait à le déstabiliser.

Une fois dans le couloir, il souffla un bon coup et chassa ses pensées négatives. Il savait où était sa chambre puisqu'il avait vu l'étage lors de sa visite guidée. Il s'y rendit donc et commença à s'installer. Son compagnon de chambre n’y était pas pour le moment. Il sentait qu'il allait être bien ici, qu'on allait le respecter tel qu'il était. Il l'espérait vivement en tout cas...